L’otium et le "souci de soi" selon Foucault 2/5
- Sandie Carissan
- 14 janv.
- 3 min de lecture
Cet article fait partie d'une série spéciale consacrée à L’Otium du peuple : À la reconquête du temps libre de Jean-Miguel Pire, un ouvrage qui propose de redécouvrir le temps libre comme un espace d’émancipation personnelle et collective dans nos sociétés contemporaines.

Dans ses derniers travaux, Michel Foucault met en avant l'importance du "souci de soi" comme un fondement de l'autonomie éthique et de la quête de sagesse. Ce concept, hérité de l'Antiquité grecque et romaine, trouve un écho contemporain dans le concept d’otium, ce "loisir fécond" nécessaire pour se cultiver, réfléchir et progresser moralement. Dans cet article, explorons comment Jean-Miguel Pire croise le souci de soi et l'otium pour nourrir une réflexion individuelle et collective sur la liberté et la responsabilité.
1. Le "souci de soi" : Une quête de vérité et d’éthique
Le "souci de soi" est une pratique philosophique antique qui invite l’individu à se tourner vers son for intérieur pour se connaître, se perfectionner et, par extension, agir pour le bien commun. Chez les Grecs, cela passait par la skhôle (loisir fécond), un temps dédié à la contemplation, à la philosophie, et à l’amélioration de soi.
Foucault décrit le "souci de soi" comme un effort de transformation personnelle, permettant d'accéder à la vérité tout en développant une éthique personnelle. Ce travail, loin d’être égoïste, s’inscrit dans une perspective collective : la quête d’un individu éclairé participe à l’harmonie de la société. Pour Foucault, l’otium, en tant que condition temporelle nécessaire à cette introspection, devient un outil central de cette démarche.
2. Pourquoi l’otium est essentiel pour le "souci de soi"
L'otium, ce temps affranchi des tâches matérielles et des urgences du quotidien, est indispensable au "souci de soi". Dans un monde saturé par les distractions numériques et les exigences de la productivité, ce loisir fécond offre un espace pour :
L’introspection et la construction du jugement : Le retrait du monde productif permet de développer des qualités telles que le discernement, la curiosité et le libre arbitre. Ces qualités, essentielles à l’éthique, se construisent dans des moments de calme et de réflexion.
La quête de sagesse et de bien commun : Comme dans la tradition grecque, l'otium n'est pas uniquement un temps pour soi, mais un moyen de cultiver une responsabilité envers les autres. C'est en se développant que l’individu peut contribuer de manière plus éclairée à la société.
Dans un contexte contemporain où le temps est "vampirisé" par les écrans et les distractions numériques, redécouvrir l’otium devient une réponse aux aliénations modernes. Il ne s’agit pas seulement de "faire une pause", mais de réinvestir son temps libre comme un moment de croissance intérieure.
3. Transformer nos sociétés modernes par le souci de soi
Dans nos sociétés dominées par la productivité et la marchandisation du temps, le "souci de soi" proposé par Foucault offre une vision subversive et libératrice. Il invite à :
Repenser la valeur du temps libre : Plutôt que de réduire le temps libre à une simple récupération physique, le concevoir comme un espace de développement personnel et collectif. Ce temps pourrait être structuré pour permettre à chacun de réfléchir, d’apprendre et de s’épanouir.
Encourager l’autonomie éthique : L'otium est une opportunité de cultiver des valeurs non dictées par des institutions ou des normes économiques. Cela permettrait de sortir d’une logique utilitaire pour aller vers une véritable émancipation de l’individu.
Nourrir un nouveau modèle social : Une société qui valorise l'otium et le "souci de soi" accorde une place centrale à l'épanouissement humain, loin des impératifs de rentabilité. Ce modèle pourrait également répondre aux crises contemporaines en encourageant des citoyens plus éclairés et plus engagés.
Michel Foucault nous rappelle que l’autonomie, la réflexion et la quête de vérité ne peuvent exister sans un temps dédié à l’introspection : l’otium. Ce temps, loin d’être une perte, devient une condition nécessaire à l’éthique et à la construction de sociétés plus justes et responsables. Dans un monde où la réflexion peut se raréfier, redonner vie à l'otium est une manière de réenchanter notre rapport au temps et à nous-mêmes.
Cependant, cette vision se heurte à des obstacles majeurs. La domination du travail et la marchandisation de notre temps libre continuent de limiter l’accès à un loisir véritablement fécond. Nous aborderons ces enjeux dans le prochain article.
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Pire, J.-M. (2024). L'otium du peuple : À la reconquête du temps libre. Éditions Sciences Humaines.
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