Comprendre la post-vérité : une crise contemporaine du rapport à la vérité
- Sandie Carissan
- il y a 7 heures
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Le concept de post-vérité désigne une époque où les faits objectifs pèsent moins dans la formation des opinions que les émotions ou les croyances personnelles. Ce phénomène, largement amplifié par les réseaux sociaux, traduit une transformation profonde du rapport au savoir et à la vérité.
La philosophe Gloria Origgi évoque que la vérité a toujours exercé un certain pouvoir, un caractère contraignant. Dans une société démocratique où chacun revendique son autonomie de pensée, cette contrainte peut être perçue comme une forme de dépossession. Lorsqu'une vérité scientifique devient un argument d’autorité dans le débat public (exemple : le climat ou les politiques sanitaires), elle peut susciter une réaction de rejet non pas pour son contenu, mais pour la manière dont elle s’impose.
Cette réaction s’inscrit dans une époque marquée par une surcharge informationnelle : l’individu n’a ni le temps ni les moyens de vérifier chaque donnée. Il se retrouve alors à faire confiance à des sources, sans pouvoir exercer un véritable jugement critique. Ce déficit d’autonomie génère une frustration intellectuelle qui ouvre la voie à des croyances alternatives, souvent plus émotionnelles que rationnelles.
Par ailleurs, les réseaux sociaux créent des environnements clos où les individus évoluent dans des bulles informationnelles. Ils partagent et reçoivent des contenus qui confirment leurs opinions initiales. Ainsi, le débat public devient fragmenté, et le désaccord sur les faits eux-mêmes empêche tout dialogue rationnel.
Post-vérité et otium : deux visions du rapport à la vérité
Voici deux définitions :
Post-vérité : contexte où les faits objectifs sont éclipsés par les émotions dans la formation des opinions, marquant une crise de la vérité dans l’espace public.
Otium : dans la tradition gréco-romaine, temps libre consacré à la réflexion, à l’étude, à la contemplation. Par opposition au negotium (les affaires, l’action), l’otium est un espace de retrait propice à l’élaboration d’un jugement personnel.
La post-vérité, reflet d’une société privée d’otium
La post-vérité s’enracine dans une société où le temps de penser manque cruellement. L’individu, sollicité en permanence par les notifications, les réseaux sociaux et l’urgence des réactions, n’a plus l’espace pour lire, comparer, douter. Il se forge une opinion à partir d’émotions brutes, d’images virales ou de titres accrocheurs, sans passer par un processus lent de discernement.
Ce phénomène traduit une mise à l’écart de l’otium : le moment de calme, de solitude féconde, nécessaire à la pensée critique. La disparition de cette respiration intellectuelle fragilise la capacité collective à faire la distinction entre le vrai et le faux.
L’otium comme antidote à la post-vérité
Face à ce déséquilibre, l’otium apparaît comme une forme de résistance. Il permet de se soustraire au flux constant des informations et de renouer avec un temps long : celui de la lecture attentive, de la réflexion, de l’étude. Dans cet espace intérieur, l’individu peut construire un jugement fondé, affranchi de l’influence immédiate des émotions collectives.
Loin d’être un retrait égoïste, l’otium serait même à mon avis, une exigence citoyenne : il remet la sagesse au cœur de la vie intellectuelle. Là où la post-vérité transforme la vérité en opinion parmi d’autres, l’otium cherche, avec humilité mais rigueur, ce qui peut être raisonnablement affirmé.
La post-vérité et l’otium représentent deux attitudes radicalement différentes face à la vérité :
D’un côté, l’abandon du vrai au profit de l’émotion et de l’immédiateté.
De l’autre, le retrait volontaire pour mieux comprendre, juger, et discerner.
Dans un monde saturé de bruits et de récits contradictoires, redonner sa place à l’otium, c’est raviver la capacité à penser librement. C’est peut-être aussi la condition nécessaire pour reconstruire une démocratie fondée sur le discernement, et non sur la simple réactivité.
Pour approfondir le sujet, vous trouverez ci-joint l’entretien avec la philosophe Gloria Origgi sur la post-vérité.
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