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De la mémoire au récit, de la souffrance à la résilience

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 1 juin
  • 3 min de lecture

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En tant que psychosociologue, j’explore depuis plusieurs années les interactions entre les trajectoires individuelles et les dynamiques sociales, entre le vécu subjectif et les cadres culturels. Dans cette perspective, j’ai choisi de suivre le Diplôme Universitaire "Histoires de vie en formation" (DU HIVIF) à l’Université de Tours en 2022.

Ce D.U. propose une approche pluridisciplinaire (éducation, psychosociologie, épistémologie, anthropologie) du récit de vie comme outil d’accompagnement, de formation et d’émancipation. On y apprend à articuler expérience, narration et compréhension, dans une visée à la fois clinique, pédagogique et politique.


Ayant toujours été profondément intéressée par le récit de vie, je continue à m’en nourrir bien au-delà de l’obtention de mon D.U. C’est une approche qui demeure au cœur de ma pratique et de mes réflexions. C’est dans cet esprit que j’ai récemment visionné sur YouTube une conférence passionnante de Boris Cyrulnik, que j’ai eu envie de partager avec vous. Dans cette intervention Cyrulnik nous invite à un véritable voyage à travers les dimensions neurologiques, psychologiques, sociales et culturelles du récit. Il y développe une idée centrale : notre cerveau est façonné dès les premières années par les relations que nous vivons et par les récits qui nous entourent. Ce sont eux (ou leur absence) qui déterminent en grande partie notre capacité à nous relever des épreuves, à transformer la souffrance, et à construire du sens.



Le récit préverbal : mémoire sans souvenirs, mais pas sans effets

Dès les premiers mois de vie, sans langage, sans souvenirs, l’enfant encode affectivement son environnement. Cyrulnik parle d’inconscient cognitif, cette mémoire émotionnelle qui influence durablement notre rapport au monde. Des interactions précoces bienveillantes favorisent un développement cérébral harmonieux, tandis que l’isolement affectif (par précarité, guerre, négligence…) provoque une atrophie mesurable du cortex préfrontal.

Ces découvertes montrent que l’avant-récit joue déjà un rôle fondateur. Il prépare le terrain de l’élaboration narrative future. Le silence affectif laisse des blessures invisibles, mais profondes.


Le récit comme deuxième chance : éviter la deuxième souffrance

Cyrulnik évoque cette idée essentielle : on souffre deux fois. La première, dans le réel (deuil, violence, exil). La seconde, dans la manière dont on représente ce réel, seul ou en société. Et c’est là qu’intervient le récit : outil de transformation, de relecture, de remaniement.

Il cite plusieurs expériences : des sujets exposés à des images traumatisantes s’en souviennent différemment selon qu’ils en ont parlé ou non. Le récit partagé, verbal ou artistique, permet de réorganiser l’émotion, d’en réduire la charge toxique.

« Si je suis seul, je rumine. Si je partage, je transforme. »

La dimension sociale et culturelle du récit

Un des apports majeurs de cette conférence est de montrer que le récit de soi n’est jamais isolé : il s’inscrit toujours dans une trame plus vaste de récits culturels, familiaux, sociaux. Ces récits environnants façonnent nos représentations, influencent notre manière de nous percevoir, et peuvent tour à tour ouvrir la voie à la résilience ou, au contraire, figer les blessures. Ce que nous croyons être notre histoire personnelle est souvent imprégné de récits collectifs qui nous précèdent et nous traversent. La manière dont une société parle ou se tait à propos de la souffrance, du trauma, de l’échec ou de la marginalité influence profondément la possibilité de se reconstruire. Comme le rappelle Cyrulnik, une fiction, un récit partagé, une parole autorisée peuvent modifier le réel ; parce qu’ils transforment l’imaginaire dans lequel se déploie l’expérience.


La résilience : une construction plurifactorielle

Cyrulnik insiste sur une idée-clé : la résilience n’est pas une qualité individuelle, mais un processus relationnel et culturel. Elle dépend :

  • de facteurs neurologiques (plasticité du cerveau),

  • de l’environnement affectif (présence de figures d’attachement),

  • mais aussi de la possibilité de se raconter dans un espace d’écoute.

C’est ici que le travail autour des récits de vie prend toute son importance. Il ne s’agit pas d’une simple remémoration, mais d’une élaboration symbolique, qui redonne à la personne du pouvoir sur son histoire, et donc sur son avenir.


De la parole intime à la démocratie narrative

Enfin, Cyrulnik établit un lien fort entre le récit individuel et le vivre-ensemble. Comme l’écriture a permis la transmission du savoir, Internet peut aujourd’hui favoriser ou détruire cette dynamique : entre partage des souffrances et cyber-harcèlement.

Il appelle à une culture du débat, à l’écoute de récits pluriels, comme rempart contre les langages totalitaires. Pour lui, raconter, c’est résister. Résister au silence, à l’oubli, à la déshumanisation.



Cette conférence a conforté, enrichi ma manière d’aborder les récits de vie. Elle confirme que le récit n’est pas qu’un outil pédagogique ou thérapeutique : c’est un enjeu éthique et politique, un acte de subjectivation et de citoyenneté.

En tant que psychosociologue formé à ces pratiques, je suis convaincue que créer des espaces pour raconter, écouter et co-construire les récits de vie, c’est travailler à la fois à la résilience des personnes et à la vitalité du lien social.




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