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L’Art du temps

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • il y a 2 jours
  • 5 min de lecture
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J’adore la rentrée. Ce moment où on fait le grand ménage, où l’on trie et range pour repartir du bon pied. C’est aussi l’excuse parfaite pour s’offrir de la belle papeterie, des carnets qui donnent envie d’écrire, quelques vêtements neufs qui sentent encore le neuf et penser à son prochain parfum d'automne pour embaumer ses écharpes. Bref, une période qui s’apprête à l'organisation, aux élans, au renouveau et de bonnes résolutions.

Mais on le sait bien : le quotidien reprend le dessus, les plannings se remplissent trop vite, et la question revient toujours : comment réussir à garder ce sentiment d’ordre et d’équilibre dans la durée ?

C’est exactement à ce défi que répond Jean-Louis Servan-Schreiber dans L’Art du temps.


Il est rare qu’un ouvrage touche à la fois la philosophie, la psychologie, l’organisation personnelle et la vie quotidienne. L’Art du temps de Jean-Louis Servan-Schreiber, publié dans les années 1980 mais toujours d’actualité, appartient à cette catégorie d’essais qui éclairent durablement une époque tout en proposant des outils universels. Plus qu’un manuel de "gestion du temps”, ce livre se présente comme une réflexion sur notre rapport intime à la durée, à l’efficacité, mais aussi à la sagesse.


Le mal du siècle : avoir mal à son temps

Dès les premières pages, l’auteur met en évidence ce qu’il nomme un mal contemporain : non pas le manque d’argent ou de liberté, mais celui de temps. Dans les sociétés développées, les enquêtes d’opinion révèlent que les individus se disent plus frustrés par le manque de temps que par la rareté des biens matériels. Or, paradoxe : nos ancêtres travaillaient bien plus d’heures, avec moins de loisirs, et pourtant l’accélération moderne nous donne l’impression de courir sans cesse derrière l’horloge.

Jean-Louis Servan-Schreiber, journaliste, dirigeant de presse et père de famille, connaît cette tension de l’intérieur. Son livre naît de sa propre expérience : comment réussir à mener de front vie professionnelle, familiale, intellectuelle et personnelle sans se laisser broyer par la course au temps ?


Un voyage dans la modernité temporelle

L’auteur commence par retracer la transformation historique de notre rapport au temps. Le passage du temps circulaire, rythmé par les saisons et les cloches, au temps linéaire et mesuré par les horloges, a bouleversé la vie humaine. L’industrialisation, les transports, puis la mondialisation ont imposé une synchronisation universelle : à l’ère du quartz et des montres digitales, l’humanité entière vit au rythme de secondes qui s’égrènent...

Mais cette conquête technique a un revers : plus nos instruments se perfectionnent, plus nous ressentons l’urgence. “Tout le monde a une montre, mais personne n’a le temps”, résume l’auteur en citant Michel Serres.


Le temps encombré : télévision, consommation et dispersion

Le cœur du diagnostic repose sur l’idée d’un temps saturé.

  • La télévision, dès les années 1980, accapare déjà en moyenne 2 h 30 par jour, souvent au détriment du sommeil, de la lecture ou de la conversation.

  • La consommation moderne est une dévoreuse de temps : choisir, comparer, acheter, entretenir, utiliser des objets nécessite une grande énergie.

  • La dispersion géographique : trajets domicile-travail, courses, services éclatés, absorbe également des heures quotidiennes.

Au lieu de libérer l’homme, le progrès multiplie ses obligations. Résultat : une vie fragmentée, remplie d’activités secondaires, mais pauvre en moments réellement choisis. Servan-Schreiber plaide pour une véritable diététique du temps, qui consiste à trier, à simplifier, et à redonner de la valeur aux instants essentiels.


Le temps vécu : subjectivité et intensité

Au-delà de l’analyse sociale, l’auteur explore la dimension psychologique du temps. Il insiste sur son caractère subjectif : une heure peut paraître interminable ou s’envoler en un éclair selon l’intensité vécue. Le temps est comme une matière élastique, dont la qualité importe plus que la quantité.

C’est ici que se pose la question du présent : comment vivre l’instant sans se perdre dans les regrets du passé ou l’angoisse du futur ? Servan-Schreiber invite à élargir notre horizon temporel, à planifier, certes, mais sans sacrifier la présence à soi et aux autres. Le temps vécu n’est pas celui qu’on mesure, mais celui qu’on éprouve.


Les voleurs de temps et l’art de s’organiser

Un chapitre du livre inventorie pas moins de 32 “voleurs de temps” : interruptions, réunions inutiles, bavardages, désorganisation… autant de micro-fuites qui dissipent l’énergie. Loin de prêcher la rigueur militaire, l’auteur propose plutôt des principes simples : apprendre à dire non, anticiper, grouper les tâches, utiliser intelligemment les outils d’organisation.

Il rappelle cependant que la maîtrise du temps n’est pas une affaire de gadgets, mais de connaissance de soi. L’efficacité véritable naît d’un équilibre subtil entre rigueur et souplesse, discipline et plaisir.


De la gestion à la sagesse : le maître du temps

À mesure que le livre avance, il dépasse la simple organisation pour aborder une dimension plus existentielle. Maîtriser son temps, c’est finalement apprendre à se maîtriser soi-même. Les “maîtres du temps”, selon Servan-Schreiber, ne sont pas seulement productifs : ils savent ordonner leurs priorités, clarifier leur esprit, et vivre le présent avec attention et sérénité.

Six principes guident cet art :

  • se connaître,

  • choisir,

  • organiser,

  • prendre du recul,

  • savourer l’instant,

  • sourire au temps.

Loin d’être une contrainte, la gestion du temps devient une forme d’élégance intérieure.


Le temps des projets : donner du sens

Le temps ne se résume pas au quotidien. L’auteur insiste sur la nécessité de projets, petits ou grands, qui structurent l’existence. Se demander “que faire maintenant ?” n’a de sens que si l’on sait pourquoi. La quête de sens, le progrès personnel, la priorité au plaisir et à l’épanouissement deviennent les véritables moteurs d’une bonne gestion du temps.

Servan-Schreiber distingue différents “temps pour vivre” : travail, famille, amitié, apprentissage, repos, etc. L’art consiste à les équilibrer plutôt qu’à les opposer. Ici, la méthode rejoint la philosophie : un projet n’est pas seulement une tâche, mais une façon d’habiter sa durée.


Mon ami le temps : un rapport apaisé

La dernière partie du livre est la plus pratique, mais aussi la plus intime. L’auteur propose des outils concrets : tenir un agenda fiable, externaliser sa mémoire par des notes, bâtir des “tableaux de bord” pour la journée. Il développe même un programme appelé TEMPLUS, destiné à aider chacun à planifier ses priorités.

Mais le message final dépasse la technique : il s’agit de traiter le temps comme un allié. Plutôt que de le voir comme un ennemi qui nous échappe, il faut l’accueillir, lui donner une place, l’habiter pleinement. Alors, le temps devient un ami qui nous accompagne vers plus de liberté et de sérénité.


Un livre à la croisée des chemins

L’Art du temps n’est ni un manuel de productivité au sens anglo-saxon, ni une pure méditation philosophique. C’est un essai hybride qui combine l’expérience d’un manager, la sensibilité d’un humaniste et la rigueur d’un observateur de son époque.

Son actualité est frappante : à l’heure des smartphones, des réseaux sociaux et de l’hyper-connexion, les diagnostics de Servan-Schreiber est très juste. L’impression de manquer de temps, malgré l’abondance technique, n’a fait que s’accentuer.


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Servan-Schreiber, J.-L. (1984). L’art du temps. Paris : Fayard.

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