L’otium, une nécessité pour la démocratie : repenser notre rapport au temps et à la citoyenneté
- Sandie Carissan
- 9 mars
- 3 min de lecture

Dans nos sociétés modernes, où l’information circule en continu et où le divertissement est omniprésent, la démocratie semble de plus en plus fragilisée. Nous avons le droit de vote, mais avons-nous encore les moyens de l’instruire ? C’est ici que l’otium, ce "loisir intelligent" qui invite à la réflexion et à la culture, devient une nécessité politique. La conférence récente de Jean-Miguel Pire et Michaël Dandrieux donnée le 6 mars dans le cadre du rdv mensuel "une dose d'otium" a mis en lumière un enjeu fondamental : reprendre le temps de penser est essentiel pour une démocratie vivante et éclairée. Voici un resumé de cette intervention.
L’otium : un remède contre le "mensonge démocratique"
L’idée centrale développée dans cette conférence est qu’un simple droit de vote ne suffit pas à garantir une véritable démocratie. Il faut du temps et de l’espace pour réfléchir aux implications de ce choix. Sinon, nous nous contentons d’un vote superficiel, influencé par des logiques de court terme, des émotions ou des manipulations médiatiques.
Les forces illibérales ne cherchent pas nécessairement à supprimer le droit de vote. Il leur suffit d’affaiblir le sens du vote en transformant les élections en un simple exercice formel, dépourvu de réflexion critique. C’est ce que Michaël Dandrieux appelle un "mensonge démocratique" : une démocratie qui existe en apparence, mais qui a perdu son essence.
Autrefois, voter était un acte solennel, engageant une réflexion sur l’avenir de la cité. Aujourd’hui, notre rapport au vote s’apparente de plus en plus à la culture du sondage et du like : on donne une opinion immédiate, souvent sans en mesurer les conséquences.
L’abstention massive peut être interprétée comme un signal fort : le manque de réflexion entraîne un manque d’intérêt. Lorsqu’on demande aux jeunes pourquoi ils ne votent pas, la réponse est souvent une forme de désespoir : "à quoi bon, puisque rien ne changera ?".
Ce manque de projection dans l’avenir est un défi majeur pour la démocratie. Il ne s’agit pas seulement de voter, mais de comprendre pourquoi et pour quoi on vote.
L’ère du divertissement : un danger pour la pensée critique
Notre société favorise la dispersion de l’attention. Les réseaux sociaux, les notifications incessantes, les vidéos courtes… Tout est conçu pour capturer notre temps libre et nous empêcher de penser. Résultat : nous sommes en permanence occupés, mais rarement engagés dans une réflexion profonde.
Le divertissement de masse n’est pas neutre : il s’agit d’une véritable industrie du temps libre, qui fonctionne en aspirant notre attention. Ce phénomène est documenté et désormais bien connu des jeunes générations. Ils savent que leurs cerveaux sont manipulés par les algorithmes. Mais en sortir demande un effort considérable, car ces distractions offrent une échappatoire temporaire à l’angoisse du réel.
Pourquoi refusons-nous l’otium ? Une fuite face à l’angoisse du monde
Si l’otium est si nécessaire, pourquoi avons-nous tant de mal à le valoriser ? Parce qu’il nous oblige à faire face à la réalité. À une époque où les crises (écologique, politique, sociale) s’accumulent, penser peut être douloureux. Il est souvent plus confortable de se réfugier dans une consommation passive que d’affronter les enjeux qui nous attendent.
L’otium est ainsi en concurrence avec un "intérêt morbide" : celui de fuir la réalité en la simplifiant ou en l’ignorant. Pourtant, cette fuite a un coût : une société qui évite la réflexion est une société qui subit son destin au lieu de le construire.
Vers un renouveau de l’otium : sacraliser le temps de la pensée
La véritable alternative n’est pas entre la réflexion et un monde insouciant de divertissement. Ce dernier nous rattrapera tôt ou tard, car les crises ignorées finissent toujours par exploser. Il s’agit donc de réapprendre à penser, à débattre, à cultiver notre esprit critique.
Cela passe par une revalorisation du temps long : lire, débattre, s’instruire sans objectif immédiat, juste pour le plaisir de comprendre et de mieux appréhender le monde. L’otium n’est pas une perte de temps, c’est un investissement dans notre avenir collectif.
Dans un monde en quête de sens, où l’information rapide remplace souvent la réflexion profonde, il est urgent de retrouver le goût de l’otium. Ce n’est pas un luxe réservé à une élite intellectuelle, mais une nécessité démocratique. Si nous voulons une société où chacun peut voter en connaissance de cause, il faut réapprendre à prendre du temps pour penser. L’otium est bien plus qu’un simple loisir : il est la condition même d’une démocratie vivante, où chaque citoyen peut exercer pleinement son rôle avec discernement et responsabilité.
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