top of page

La vita contemplativa 1/4

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 7 juil.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 août

THE POOL | DAVID HOCKNEY | 2021
THE POOL | DAVID HOCKNEY | 2021

Dans une époque dominée par la vitesse, la productivité et l’hyperconnexion, que reste-t-il de la contemplation ? À travers Vita Contemplativa, le philosophe germano-coréen Byung-Chul Han propose une critique radicale de notre obsession pour l’action, le rendement et l'efficacité. Il y oppose la richesse oubliée de l’inactivité : non pas comme un vide ou une carence, mais comme une forme d’intensité, de présence et de sens.

Ce premier article d’une série de quatre propose une entrée dans l’univers du livre, en mettant en lumière les grands enjeux de ce plaidoyer pour une vie plus lente, plus attentive, plus profonde. À travers Han, il s’agit de redécouvrir une autre manière d’être au monde, fondée sur le retrait, l’écoute, la disponibilité, et l’expérience intérieure.


Une époque allergique au rien

Notre époque a érigé l’activité en dogme. Le moindre instant doit être occupé, valorisé, rentabilisé. Le repos n’est plus qu’un outil de rechargement productif. Dans Vita Contemplativa, Byung-Chul Han lance un avertissement fondamental : cette obsession de l’action est en train de détruire notre capacité à vivre, penser, sentir, parler.

L’inactivité, aujourd’hui, n’est plus perçue comme une potentialité humaine mais comme un dysfonctionnement. Han note que "dans notre société de la performance, l’inactivité est considérée comme une défaillance, un déficit de puissance". C’est là une mutation anthropologique majeure : une humanité qui n’est plus capable d’inactivité est une humanité qui s’épuise sans fin dans l’agitation.


Du homo faber à l’animal laborans

Han s’inscrit ici dans la lignée de Hannah Arendt, notamment son ouvrage Condition de l’homme moderne, où elle oppose trois figures : le homo faber (celui qui fabrique), l’animal laborans (celui qui travaille), et l’homo contemplativus (celui qui pense). Selon Arendt, notre modernité a sacrifié la contemplation aux exigences de la production.

Han va plus loin : il affirme que nous avons non seulement oublié la contemplation, mais que nous avons intériorisé une logique dans laquelle l’humain n’est plus qu’un organe d’activité. "Nous sommes devenus des machines de performance, incapables de pause, de distance, d’inaction". Nous vivons dans une société qui, selon lui, ne tolère plus la moindre interruption dans le flot de l’action.


Le capitalisme comme logique de l’activité pure

Au cœur de cette critique se trouve une analyse du capitalisme contemporain : non plus simplement comme système économique, mais comme régime d’attention, de temporalité et de subjectivité.

Le capitalisme est décrit comme une "machine de mobilisation permanente" : il ne laisse plus aucune place au retrait, au délai, à la contemplation.

Han reprend une idée de Marx : " le capital est la forme pure de l’activité". Il n’a pas besoin de pause, il ne connaît pas de week-end, il n’a pas besoin de sommeil. Le capitalisme transforme tout en mouvement perpétuel. La liberté individuelle est reconfigurée comme capacité à s’auto-activer. Même les réseaux sociaux participent à cette logique : ils incitent à réagir, produire, liker, commenter... immédiatement.

"Le sujet contemporain ne connaît que le mode de l’agir. Toute passivité lui est étrangère".

Han pointe ici un paradoxe fondamental : nous croyons être libres, mais nous sommes simplement devenus les gestionnaires de notre propre performance. L’auto-exploitation remplace l’oppression : elle est plus efficace, car elle s’exerce sans résistance. Il n’y a plus d’opposition entre travail et liberté, car le travail est devenu la forme même de la liberté moderne.


Ce que nous perdons en perdant l’inactivité

Ce modèle d’existence purement active a des conséquences profondes. Han écrit :

"L’activité produit du bruit. La musique, elle, a besoin de silence".

L’image est forte. Elle signifie que sans inactivité, toute forme d’expression devient bruit, toute expérience devient surface, toute pensée devient automatisme.


Il y a donc une esthétique, une éthique et une ontologie de l’inactivité. Ce n’est pas simplement "ne rien faire" : c’est habiter un autre temps, un autre rapport à soi, aux autres et au monde.


L’inactivité permet l’émergence d’une profondeur. Ce que Han appelle "le rayonnement" 🌞de la vie . Sans elle, nous vivons en surface, dans le zapping, la réaction, la tension.

Il cite Arendt : " La vie active devient stérile sans l’irrigation silencieuse de la contemplation".

Vers une politique de l’inactivité

Han ne s’arrête pas à la critique : il propose une nouvelle lecture politique de l’inactivité. Celle-ci ne consiste pas à s’asseoir sur un coussin pour méditer, mais à redonner place dans nos vies individuelles et collectives à une forme d’attention lente, d’écoute, d’improductivité assumée.

" Nous avons besoin d’une politique de l’inactivité, d’un contre-pouvoir face à la tyrannie de l’action".

Cela signifie repenser l’espace public, l’école, le travail, l’art, la parole, non plus comme lieux d’efficacité, mais comme possibilités d’éveil. L’inactivité devient un geste de résistance, un sabotage doux de la logique capitaliste.

Han évoque ici une véritable conversion du regard : ne plus voir l’inactivité comme manque, mais comme acte. Ce n’est pas l’opposé de l’action : c’est une autre forme d’agir, plus fine, plus ouverte, plus poétique.



Ce premier article a mis en lumière la critique centrale de Han : nous vivons dans une société qui a perdu le sens de l’inactivité, et avec lui, le sens du monde. L’inactivité, loin d’être un luxe ou une paresse, est une nécessité existentielle, éthique, politique.


Dans le prochain article, nous explorerons comment cette inactivité se manifeste concrètement dans les formes culturelles : la fête, le luxe, le sabbat, l’ornement. Car l’inactivité n’est pas seulement un retrait : elle est aussi une célébration, une danse, une offrande.


Han, B.-C. (2024). Vita contemplativa : Ou De l’inactivité. Actes Sud.
Han, B.-C. (2024). Vita contemplativa : Ou De l’inactivité. Actes Sud.

Commentaires


  • Instagram
  • LinkedIn
  • TikTok
bottom of page