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Le parfum du temps . Partie 1

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 30 juin
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 août


Le philosophe germano-coréen Byung-Chul Han, dans Le parfum du temps, nous offre une réflexion sur notre rapport contemporain au temps. Selon lui, la crise du temps que nous vivons n’est pas d’abord une affaire d’accélération - contrairement à ce que pense Hartmut Rosa - mais d’atomisation : le temps se défait, se fragmente, perd sa cohérence. Le monde moderne ne connaît plus ni la continuité ni la profondeur du vécu.


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L'illusion de l’accélération

Le constat de Byung-Chul Han dans Le parfum du temps est que la véritable crise du temps ne tient pas à l’accélération mais à sa désintégration interne. Ce n’est pas que les choses vont plus vite, c’est que le temps s’effondre en une succession de points sans lien. Il n’y a plus de trame temporelle continue ; tout devient instantané, ponctuel, dépourvu de structure.

Han parle de "dyschronie” pour désigner cette perte de rythme du temps. Il s’agit d’un déséquilibre profond : le temps ne suit plus une ligne, ni même un cercle, mais il "vole en éclats”, devenant un ensemble de moments isolés. C’est ce qui donne l’impression que tout va plus vite : le présent n’est plus soutenu par une durée.


"La vie n’est plus enchâssée dans des structures ordonnantes qui assurent une durée”.

Le symptôme de cette dyschronie est un monde où les identités sont elles-mêmes atomisées. Nous ne sommes plus portés par des récits ou des appartenances stables. L’individu devient préoccupé uniquement par la santé de son corps, devenu son seul horizon. La vie se rétrécit, se referme, devient fragile, anxieuse.


L’échec de la modernité

Han dénonce un autre mythe moderne : celui selon lequel plus on vit vite, plus on vit intensément. Cette équation "vivre deux fois plus vite, c’est vivre deux fois plus" est une illusion. Elle confond pleine vie et vie remplie. Ce n’est pas la quantité d’options ou d’événements qui fait une vie accomplie, mais sa capacité à former un récit cohérent, une synthèse temporelle.

C’est ici que Han établit une distinction entre expérience (Erfahrung) et événement vécu (Erlebnis). L’expérience est un processus temporel profond, où passé et avenir s’articulent dans le présent (par exemple, on ne fait pas l’expérience de la perte d’un animal simplement au moment de son départ. Le passé commun donne du poids à l’absence, et l'avenir sans lui donne une perspective. Tout cela se condense dans le présent ).

À l’inverse, l’événement ponctuel n’a pas de mémoire. Il est "sans épaisseur”, comme de l’information consommée puis oubliée (par exemple, une vidéo sur les réseaux sociaux qu’on regarde et qu’on oublie aussitôt, sans qu’elle s’inscrive dans une continuité d’expérience).


“Une longue liste d’événements ne fait pas une histoire. Une vie pleine ne se mesure pas en quantité d’options”.

Le présent réduit à l’instantané

Notre présent contemporain tend à se concentrer sur l’instant pur de l’actualité : il se fragmente, il s’accélère, il privilégie l’immédiat au détriment de la durée. Dans ce contexte, il devient plus difficile de se projeter, de formuler des promesses ou de s’engager dans des trajectoires de long terme. Des notions telles que la fidélité, l’obligation ou l’espérance (qui relient le présent à l’avenir) perdent peu à peu leur place.

Cette évolution peut engendrer un certain flottement existentiel, une forme de vulnérabilité liée à l’éclatement du temps. Le présent ne s’inscrit plus dans une continuité claire, ce qui peut nourrir une impression d’instabilité, comparable à celle de l’insomnie : un temps qui passe sans qu’on puisse s’y situer, ni en trouver le sens. Han, reprenant une image d’Adorno, évoque ces "nuits hâtivement sans sommeil", où le temps semble s’étirer sans rythme ni repère, comme une traversée dans le vide. Ce malaise n’est pas à voir comme une fatalité, mais plutôt comme un signe révélateur d’un bouleversement plus profond dans notre manière d’habiter le temps.


Une société qui vieillit sans devenir vieille

Selon Han, l’un des traits marquants de notre époque est une forme d’effacement des seuils de la vie. Vieillir ne signifie plus franchir des étapes clairement identifiables : les transitions deviennent floues, les moments de bascule rares. La vie tend à s’étirer dans une continuité sans rupture, où chaque instant succède au précédent sans véritable clôture. Même la mort semble perdre son statut de fin naturelle : non parce qu’elle surviendrait trop tôt, mais parce qu’elle n’est plus pensée comme une destination, un point d’aboutissement.

Dans ce contexte, c’est la santé qui tend à devenir le nouvel idéal, laissant place à une attention accrue au corps, à sa vitalité, à sa performance. Il ne s’agit plus tant de vivre "vers" quelque chose que de maintenir le plus longtemps possible un état de fonctionnement optimal. Ce déplacement du sens donne à la mort un visage plus déroutant : elle n’est plus une conclusion attendue, mais une rupture difficile à intégrer.


La perte du “parfum” du temps

Han déploie alors une belle image : le temps a perdu son parfum.

Autrefois, dans les sociétés mythiques, (traditionnelles) : le temps était cyclique, répétitif, tout revenait éternellement (comme les saisons, les rituels).

Dans les sociétés historiques, le temps était linéaire, on avance vers quelque chose de nouveau, inédit. La science, la technique, la démocratie sont vues comme des moyens d’aller vers un avenir meilleur.

Aujourd’hui, le temps n’a plus ni épaisseur historique, ni structure mythique. Il est devenu information pure, succession de micro-événements sans lien, sans souvenir, sans odeur. Et c’est cette absence de parfum que Han diagnostique comme le vrai vide de notre époque.


À suivre dans la partie 2 : la réponse philosophique de Han à cette crise ; la réhabilitation de la vita contemplativa et l’art de demeurer.


Han, B.-C. (2016). Le parfum du temps : Essai philosophique sur l’art de s’attarder (J. Ricard, Trad.). Actes Sud. (Œuvre originale publiée en 2009)
Han, B.-C. (2016). Le parfum du temps : Essai philosophique sur l’art de s’attarder (J. Ricard, Trad.). Actes Sud. (Œuvre originale publiée en 2009)

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