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Le Parfum du Temps . Partie 2

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 1 juil.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 août


Dans le premier article, nous avons exploré le diagnostic que pose Byung-Chul Han dans Le Parfum du Temps : notre époque ne souffre pas d’une simple accélération, mais d’un effondrement de la structure temporelle elle-même. Le temps n’est plus vécu comme une durée continue, mais comme une succession de points épars, privés de narration. Cette atomisation produit fatigue, anxiété, perte de sens.

Mais Han ne s’arrête pas à ce constat pessimiste. Il propose une issue, une réorientation de notre rapport au temps. Plutôt que de ralentir de façon superficielle, il nous invite à renouer avec une forme de vie oubliée, à redécouvrir l’art de demeurer, d’attendre, de contempler.

Dans ce second article, nous allons suivre Han dans cette exploration : comment retrouver une temporalité pleine, capable de redonner au temps son parfum, c’est-à-dire son sens, sa densité, sa mémoire ? La clé, selon lui, réside dans la renaissance de la vie contemplative.


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Face au vide temporel : la nécessité d’une résistance

Dans la première partie, nous avons vu comment la temporalité moderne se désintègre. La société contemporaine a perdu le fil de la durée, remplacé par une suite de présents sans profondeur. Byung-Chul Han ne se limite pas à ce constat alarmant : il appelle à une révolution silencieuse, une reconquête intérieure du temps par la contemplation.


"La crise du temps ne se résout pas par la décélération, mais par une transformation qualitative du rapport au temps”.

La solution ne consiste pas à "ralentir” de façon mécanique (comme le proposent certaines modes du slow life ou du minimalisme) mais à retrouver une forme de vie qui redonne au temps une tension narrative, une continuité, un sens. Cela passe par le retour de la vita contemplativa.


La vita contemplativa, une sagesse oubliée

Dans les traditions antiques, on distinguait deux types de vie : la vita activa, consacrée à l’action, à la politique, au travail ; et la vita contemplativa, orientée vers la pensée, la contemplation, la lenteur. Han estime que notre époque a totalement sacrifié la seconde au profit de la première, réduisant l’homme à un "animal laborans”(animal travailleur, laborieux).

Ce sacrifice a pour effet de détruire la capacité à "demeurer”, à s’attarder, à habiter le temps. Or, cette capacité est essentielle pour produire de l’expérience, du sens, de la mémoire.


"Celui qui ne sait pas s’attarder, contempler, ne peut goûter ni le temps, ni le monde”.

Contempler, ce n’est pas fuir la vie active, mais changer de rythme, de regard, entrer dans une temporalité plus lente, plus profonde, plus dense. C’est une forme de résistance au chaos informationnel et au diktat de la productivité.


Le paradoxe de l’ennui profond

Han distingue deux types d’ennui : le superficiel, qui résulte de l’absence de stimulation rapide, et le profond, qui surgit quand le vide du temps nous saisit. Ce dernier peut être fécond : il oblige à affronter le vide, à plonger dans la profondeur du temps. C’est dans cette expérience que renaît parfois le sens, comme après une nuit blanche où la mémoire refait surface.

Cet ennui profond est presque impossible aujourd’hui, car la société évite tout silence, toute pause, toute attente. Nous vivons dans un flux d’informations constant, une succession de stimuli qui empêchent toute forme de temporalité lente.


“Le temps atomisé ne permet plus de contempler, ni de s’ennuyer. Il ne permet plus de durée”.

Réapprendre la clôture, la forme, le rythme

Une vie pleine ne se définit pas seulement par la multiplication des options, mais par une structuration du temps en phases, en transitions, en seuils qui lui donnent sa richesse. Han invite à renouer avec ces formes temporelles qui colorent notre expérience : promesse, fidélité, commencement, fin, clôture.

Aujourd’hui, il est fréquent d’explorer de nombreuses possibilités, parfois sans aller jusqu’à leur pleine réalisation immédiate. Cette dynamique reflète un désir d’ouverture et de découverte. Pourtant, cultiver la capacité à conclure, à s’engager et à inscrire sa vie dans une histoire cohérente reste essentiel pour donner sens à notre existence et accueillir pleinement chaque étape, y compris la mort.


“Nous vieillissons sans jamais devenir vieux. Et nous mourons de manière intempestive.”

Proust et le dormeur maître du temps

L’un des passages les plus parlants du livre est l’analyse que fait Han de l’ouverture de À la recherche du temps perdu de Proust. Le narrateur, entre sommeil et veille, navigue entre passé, rêve, perception. Ce n’est pas une perte de repères tragique, mais une plénitude temporelle, une continuité heureuse entre les différentes strates du temps.

Le dormeur, dans cette scène, n’est pas aliéné : il est maître du temps, capable d’étendre les heures, d’évoquer des décennies de souvenirs, de reconstruire son moi dans une synthèse mémorielle. Cette fluidité du temps s’oppose radicalement à la fragmentation contemporaine.


"Le dormeur étend autour de lui le déroulement des heures, l’ordre des années et des mondes”.

C’est une image poétique et politique : il est encore possible de réhabiter le temps, de retrouver des formes où la mémoire, l’attente, la rêverie ont une place.


Le temps privé de narration

Han oppose fortement l’histoire, qui donne sens aux événements par leur articulation, à l’information, qui les isole, les rend instantanés, dénués de contexte. L’information est sans odeur, sans profondeur, purement présente, oubliée sitôt consommée.

La prolifération d’informations crée une illusion de richesse. Elle produit, selon l'auteur, du temps plat, sans direction, sans finalité. Le paradoxe, c’est qu’en cherchant à tout capter, tout consommer, nous perdons la capacité de raconter notre propre vie.


"L’information ne contient ni début, ni fin, ni tension. Elle n’a pas de parfum”.


La solution de Han n'est pas de nier la modernité, mais de la restructurer. En renouant avec la vita contemplativa, nous pouvons réinventer notre rapport au temps, faire l’expérience d’une durée riche et pleine, capable de donner sens aux instants. Ce n’est pas un retour en arrière, mais une avancée vers une vie plus profonde, plus attentive, plus humaine.


Retrouver le parfum du temps, c’est rendre à notre vie sa densité, sa saveur, son pouvoir d’évocation, sa poésie 🌻🌱




Han, B.-C. (2016). Le parfum du temps : Essai philosophique sur l’art de s’attarder (J. Ricard, Trad.). Actes Sud. (Œuvre originale publiée en 2009)
Han, B.-C. (2016). Le parfum du temps : Essai philosophique sur l’art de s’attarder (J. Ricard, Trad.). Actes Sud. (Œuvre originale publiée en 2009)

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