Les femmes qui lisent sont dangereuses
- Sandie Carissan
- 22 févr.
- 3 min de lecture

Depuis des années, un poster d'un livre dans une librairie retient mon attention : Les femmes qui lisent sont dangereuses. Il y avait quelque chose de transgressif dans ces mots. J’adorais cette idée, sans même savoir de quoi parlait le livre. Ce titre provocateur m’a simplement toujours fait sourire. Puis, la semaine dernière, alors que je flânais dans une librairie, je suis tombée sur ce livre. Je ne m’étais jamais renseignée dessus, seul le titre m’avait marquée. La couverture m’était si familière que je l’ai alors saisie pour en faire mon livre des prochaines semaines. Je n’ai lu que les premières pages, mais j’ai déjà envie de vous en parler à la lumière de l’otium.
L’otium, un luxe masculin
Depuis l’Antiquité, l’otium – ce temps libre dédié à la contemplation, à l’étude et à la culture – a longtemps été un privilège masculin. Dans la Rome antique, il représentait un moment hors du tumulte du monde, consacré à la pensée, aux arts et aux lettres, où seuls les hommes libres pouvaient se cultiver.
Pourtant, au fil du temps, les femmes ont progressivement investi cet espace de réflexion, notamment à travers la lecture. Ce qui était autrefois réservé aux hommes est devenu pour elles un refuge, un moyen d’évasion et d’apprentissage. Les femmes qui lisent sont dangereuses illustre parfaitement cette conquête d’un temps longtemps interdit, montrant comment la lecture est devenue un outil d’émancipation et de transformation sociale.
La vita lectura
Le livre Les femmes qui lisent sont dangereuses met en évidence cette révolution silencieuse. Depuis les représentations religieuses de Marie lisant en silence jusqu’à l’explosion de la lecture féminine au XVIIIe siècle, l’acte de lire a toujours été un moyen d’émancipation. Les livres, autrefois contrôlés et limités aux textes religieux, sont devenus des portes ouvertes vers un savoir libérateur. Les femmes éprouvent une curiosité de plus en plus grande pour tout ce qui touche à l'actualité : la politique, les événements, l’innovation, les sciences. Elles lisent pour comprendre, pour s’éveiller aux problèmes du monde, pour prendre conscience de leur condition.
Les hommes ont très vite perçu cette évolution comme une menace. Ils s’alarment des femmes qui lisent, avant de les marginaliser et de les désigner comme différentes, atteintes de névroses en tout genre. Emma Bovary, emblème du bovarysme littéraire, illustre ce danger attribué aux lectrices : celui de se laisser emporter par la fiction, de rêver à une autre vie, de se révolter contre leur condition. Les lectures féminines étaient accusées de pervertir les mœurs, de détourner les femmes de leur rôle d’épouses et de mères. Le livre possède le pouvoir d’entraîner la femme vers le dehors : hors de la cellule familiale, hors de l’espace intime, hors d’elle-même. Ce dehors devient un au-delà, un espace méconnaissable et subversif.
La vita activa, la vita contemplativa, la vita lectura...
Une résistance au féminin
Peu à peu, les femmes ont franchi le pas de l’écriture, affirmant leur droit non seulement à recevoir le savoir, mais aussi à le produire. De lectrices, elles sont devenues auteures, revendiquant leur place dans le monde intellectuel.
« Les femmes prennent la parole, les femmes disent "je", les femmes écrivent "moi je", les femmes produisent du texte, du texte théorique, du texte fictionnel, du texte inceste, du texte homosexuel, du texte sexuel, du sextuelle. »
Aujourd’hui encore, la lecture reste un acte de liberté pour les femmes, un temps suspendu dans lequel elles peuvent penser par elles-mêmes, se forger une identité et s’émanciper. L’otium moderne n’est plus l’apanage des élites masculines : il devient un espace d’affirmation pour toutes celles qui refusent de se laisser enfermer dans des rôles prédéfinis.
Ainsi, en s’appropriant l’otium par la lecture, les femmes ont façonné un espace de liberté où la pensée s’affranchit des carcans imposés. Elles sont des créatrices de sens, portant des voix qui résonnent bien au-delà des pages qu’elles tournent. Lire, écrire, penser : autant d’actes qui, hier comme aujourd’hui, demeurent des formes essentielles de résistance.
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Adler, L., & Bollmann, S. (2015). Les femmes qui lisent sont dangereuses. Flammarion.




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