Redonner vie à l'otium, l'importance du langage

Jean-Miguel Pire, en travaillant sur l'otium, ravive un mot oublié pour rouvrir un chemin : celui d'un temps libre qui ne soit ni du simple repos ni du divertissement passif, mais un espace de réflexion, de discernement et de croissance intérieure. À travers ce geste, il invite à retrouver une manière d'habiter le temps plus libre, plus consciente, à l'abri des injonctions de la vitesse et de l'utilité marchande.

Si redonner vie à un mot peut avoir tant de portée, c'est parce que le langage lui-même est au cœur de notre rapport au monde. Deux grandes pensées philosophiques nous aident à mieux comprendre cette force : celle de Martin Heidegger pour qui "le langage est la maison de l'être"et celle de Ferdinand de Saussure qui montre que "sans les mots, la pensée ne peut pas prendre forme".

Le langage comme fondation de l’être

Pour Heidegger, le langage est ce qui nous permet d’exister au monde. Nous ne pouvons reconnaître ni vivre pleinement ce que nous n'avons pas les mots pour dire. Quand un mot disparaît, c’est toute une expérience humaine qui devient invisible, impensable.

La disparition du mot otium a ainsi emporté avec elle la possibilité d’un temps libre consacré à l'intelligence du monde et de soi. En redonnant sa place à ce mot, Jean-Miguel Pire veut réveiller en chacun cette capacité enfouie : celle de cultiver une présence au monde, claire, libre et féconde.

Restaurer l'otium, c'est rouvrir l'accès à une manière d'être que notre époque a peu à peu effacée sous la pression du travail, du divertissement et du marché.

Le mot comme structure de la pensée

Ferdinand de Saussure montre que la pensée, sans langage, reste suspendue, comme une idée encore endormie. Ce sont les signes - l’union d’un signifiant (le mot) et d’un signifié (le concept) - qui sculptent la pensée et lui donnent sa clarté.

Créer ou redonner vie à un mot, c’est beaucoup plus qu’enrichir le vocabulaire : c’est créer la possibilité même de penser et d’éprouver une réalité. Sans le mot, l’expérience humaine demeure vague, insaisissable.

L'absence du terme d'otium dans notre langue courante rend aujourd'hui difficile la reconnaissance d’un temps libre consacré à l'intelligence, à la réflexion, à l'émancipation. Le réintroduire, comme le propose Jean-Miguel Pire, ce n'est pas seulement nommer un loisir différent : c’est rétablir un signifiant puissant, capable de rouvrir une manière d'être au monde.

Retrouver l'otium : recréer un espace intérieur

Jean-Miguel Pire rappelle en uelque qsorte que la disparition du mot otium n'est pas anodine. Elle accompagne une évolution plus vaste : l’affirmation progressive d’un monde organisé autour de la productivité, de l’utilité, de la vitesse. Dans ce contexte, ce n’est pas un hasard si le langage a laissé s’effacer l’idée d’un temps libre désintéressé, d'un espace consacré à l’intelligence et à la contemplation.

Faire renaître ce mot aujourd’hui, c’est rouvrir une brèche discrète mais décisive. C’est reconnaître que, même au milieu de la course et des sollicitations, il est précieux d'accorder une place à un temps qui n’obéit à aucune exigence d’efficacité ou de rendement.

Réintroduire l'otium, ce n’est pas seulement retrouver un mot ancien : c’est offrir à chacun la possibilité de revendiquer un espace intérieur, un temps pour soi, libre, fécond, irréductible. Un temps pour habiter pleinement sa propre vie, en dehors de l'urgence, en dehors de l'agitation.

En redonnant vie à l'otium, Jean-Miguel Pire nous invite à rouvrir un espace intérieur où peuvent grandir la liberté, le discernement et une présence plus pleine au monde.

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• Heidegger, M. (1976). Acheminement vers la parole (A. Préau, Trad.). Paris : Gallimard.

• Pire, J.-M. (2024). L'otium du peuple : À la reconquête du temps libre. Éditions Sciences Humaines.

• Saussure, F. de. (1916). Cours de linguistique générale. Paris: Payot.