Redécouvrir le concept d'otium 1/5
- Sandie Carissan
- 13 janv.
- 4 min de lecture

Une semaine dédiée à L’Otium du peuple de Jean-Miguel Pire
Cette semaine, je vous propose une série spéciale autour d’un ouvrage profondément inspirant : L’Otium du peuple : À la reconquête du temps libre.
Il y a quelques années, j’ai découvert Otium : Art, éducation, démocratie (2020) de Jean-Miguel Pire, un ouvrage qui a été une véritable révélation pour moi. Ce concept mettait des mots précis sur tout ce qui, selon moi, "dysfonctionnait" dans l’époque que je vivais. En effet, dans la pensée antique, l’otium était perçu comme l’activité humaine par excellence : un temps consacré à la réflexion, à la créativité, au bien commun et à la quête de sagesse. Une dimension qui faisait cruellement défaut dans la manière dont "la société" me proposait d’envisager la temporalité de ma vie adulte.
L’année dernière, Jean-Miguel Pire a publié un second livre, L’Otium du peuple : À la reconquête du temps libre. Après cette lecture, j'avais vraiment envie de vous partager des reflexions clés qui me semblent à la fois puissantes et profondément en phase avec les enjeux contemporains.
À travers cette série, nous plongerons dans les riches idées de Jean-Miguel Pire, entre analyses philosophiques, historiques et réflexions contemporaines. De l’influence des Grecs et de Michel Foucault, à la manière de réinventer notre rapport au travail et à la technologie, cette série vous invite à une reconquête du temps et de la pensée.
Rendez-vous chaque jour pour explorer un thème clé du livre, et peut-être découvrir comment transformer votre temps libre en un espace de créativité, de réflexion et de liberté.
Redécouvrir le concept d’otium
Dans un monde où les rythmes de vie s’accélèrent sans cesse, où les écrans captent notre attention au point de vampiriser nos loisirs, et où le travail grignote la plupart de nos journées, le concept d’otium, ce "loisir fécond" oublié, mérite une réhabilitation. Ce terme, héritage de la philosophie antique, peut offrir une alternative précieuse pour repenser notre rapport au temps libre et au sens de nos existences.
1. Contexte contemporain : Aliénation par le travail et les écrans
Aujourd’hui, le temps semble le premier sacrifié dans notre société frénétique.
Les longues journées de travail, souvent prolongées par des tâches numériques envahissantes, laissent peu de place à un véritable "temps pour soi".
Cette aliénation s’est aggravée avec les écrans, qui transforment notre attention en une ressource exploitée par les industries du loisir digital. Le scrolling sans fin sur les plateformes numériques, conçu pour captiver, siphonne notre énergie mentale sans nourrir ni notre réflexion ni notre créativité.
La pandémie de Covid-19 a accentué cette dynamique en brouillant les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour beaucoup, le télétravail a engendré une porosité entre les deux sphères, rendant le repos et le loisir difficilement accessibles. Paradoxalement, malgré une augmentation globale de notre temps libre, celui-ci est souvent réduit à un divertissement passif ou à une simple récupération.
2. L’otium, une notion oubliée mais essentielle
Le concept d’otium prend racine dans l’Antiquité grecque et romaine, où il désignait un temps libre dédié à des activités fécondes : réflexion, contemplation, quête de sagesse et bien commun. Contrairement à l’oisiveté, qui implique passivité et improductivité, l’otium était vu comme un loisir actif, un moment d’introspection et de construction personnelle.
Les Grecs parlaient de skhôle, un "retrait" nécessaire à la quête de vérité et à l’exercice de la philosophie. Ce temps, affranchi des urgences matérielles, était réservé aux efforts intellectuels et à la culture du "souci de soi", comme Michel Foucault l’a souligné dans ses derniers travaux. Repris à Rome sous le nom d’otium, le concept a progressivement été marginalisé par la glorification du travail (negotium) et, plus tard, par l’ascétisme religieux.
3. Pourquoi redécouvrir l’otium aujourd’hui ?
Face à ces constats, la redécouverte de l’otium semble cruciale, d’autant plus que la crise du Covid-19 a mis en lumière une quête latente : celle de sens et de profondeur dans nos vies. Le confinement a montré combien l’absence d’un temps véritablement libre pouvait peser sur notre bien-être. Cette période a aussi éveillé un désir croissant de ralentir, de se déconnecter et de réinvestir notre énergie mentale dans des activités significatives.
L’otium, en tant que pratique individuelle et collective, offre une réponse à ces aspirations. Il propose de redonner à notre temps libre une valeur intrinsèque, non pas comme un espace de rentabilité ou de consommation, mais comme un moment de reconquête de soi. En faisant de l’otium une partie intégrante de nos vies, nous pouvons non seulement cultiver notre autonomie et notre créativité, mais aussi contribuer à un monde plus équilibré et réfléchi.
Redécouvrir l’otium, c’est s’approprier un espace de liberté dans une société qui valorise l’urgence et la rentabilité. C’est aussi réapprendre à cultiver une autonomie intérieure qui nourrit à la fois l’individu et la collectivité.
Dans les prochains articles de cette série, nous explorerons les implications philosophiques, politiques et pratiques de l’otium, et comment il pourrait transformer nos vies.
Le moment semble venu de renouer avec cet héritage antique pour le rendre pleinement contemporain.
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Pire, J.-M. (2024). L'otium du peuple : À la reconquête du temps libre. Éditions Sciences Humaines.




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