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Réhabiliter le temps libre pour sauver la démocratie

  • Photo du rédacteur: Sandie Carissan
    Sandie Carissan
  • 11 août
  • 4 min de lecture

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Jérémie Peltier, directeur de la Fondation Jean Jaurès, était l’invité du cycle " Ma dose d’otium ", série de réflexions animée par Jean-Miguel Pire autour de ce concept ancien et fondamental : l’otium – ce temps libre fécond, propice à la réflexion, à la pensée, à l’émancipation. À travers un échange dense, une idée forte s’est imposée : pour sortir de la société de l’urgence, du flux et de l’émotion brute, l’otium doit devenir une priorité politique.


De l’intime au politique, penser l’otium comme projet démocratique

Si l’otium peut sembler n’être qu’une affaire personnelle : méditer, lire, marcher, se retirer. Jérémie Peltier a renversé cette idée reçue : il ne s’agit pas d’un luxe individuel, mais d’un enjeu collectif, au cœur de la santé démocratique.

À rebours d’une société saturée d’écrans, de notifications et de tensions permanentes, l’otium est une réponse structurante. Non pas une pause, mais un espace de ressourcement pour la pensée, de déconnexion du bruit ambiant, de reconquête du discernement. En cela, il est profondément politique.

Et Peltier le dit sans détour : préserver du temps pour penser librement n’est plus une option, mais une urgence démocratique. Car ce loisir intelligent, loin d’être un caprice d’élite, constitue la condition de possibilité d’une pensée lucide, nuancée, capable d’agir dans un monde complexe.


Le rôle central des think tanks

L’échange a mis en lumière le rôle des think tanks, ces réservoirs d’idées trop souvent méconnus du grand public.


(Un think tank ou laboratoire d’idées est une organisation indépendante souvent à but non lucratif chargée de produire des analyses, des études et des propositions sur des enjeux économiques, sociaux, culturels ou politiques. Leur objectif : nourrir le débat public, influencer les décideurs et aider à penser l’avenir).


En particulier, la Fondation Jean Jaurès, créée en 1991, porte en elle cette vocation de prise de recul sur l’actualité, de production intellectuelle désintéressée et de transmission.

Peltier rappelle trois conditions essentielles à cette mission :


  1. La liberté : produire en dehors des cycles électoraux, sans contraintes partisanes immédiates.

  2. Le temps : pouvoir travailler sur le long terme, loin de l’immédiateté médiatique.

  3. La mixité : faire dialoguer des personnes issues d’univers différents, pour ouvrir la pensée et sortir des entre-soi.

Ces trois piliers : liberté, durée, confrontation sont aussi les fondements mêmes de l’otium républicain. Le lien est clair : les think tanks sont des lieux d’otium collectif, où la réflexion commune prépare l’émancipation individuelle et politique.


Une société sous tension : repli, isolement, désocialisation

Mais ce combat pour l’otium ne se joue pas seulement dans les cercles intellectuels. Il doit faire face à une réalité sociale inquiétante : le débat public est de plus en plus capté par l’émotion, le ressenti personnel, au détriment de la rationalité et du dialogue. L’intelligence, la nuance, l’argumentation deviennent suspectes, tandis que les polémiques dominent.

Peltier alerte sur un autre danger : la montée du sectarisme, de la logique des "purs" et des "impurs", même au sein des familles politiques traditionnelles. La démocratie devient une arène de rapports de force émotionnels, où l’on refuse de dialoguer avec l’autre par peur d’être jugé ou marginalisé.

Ce climat engendre un repli sur soi, une société de l’isolement, que Vincent Cespedes appelle la civilisation du cocon. Chacun reste dans sa bulle algorithmique, son groupe WhatsApp, son cercle militant. Résultat : moins de rencontres, moins de reconnaissance, plus de solitude.


Des pistes concrètes pour un loisir fécond

Face à cette situation, plusieurs leviers d’action ont été évoqués, qui pourraient inscrire l’otium dans le réel :

  • Renforcer la fonction éducative des think tanks : en produisant des analyses nuancées, en organisant des débats ouverts et en assumant une pédagogie de la complexité.

  • Promouvoir des politiques publiques du temps : comme le proposait la note "L’État à la recherche du temps perdu", l’État doit assumer un volontarisme pour rendre le temps libre vraiment disponible, et non aspiré par les industries numériques.

  • Défendre l’esthétique de la lenteur : remettre de la douceur dans les temporalités sociales, valoriser l’attention, le calme, l’ennui fertile.

  • Revaloriser la rencontre : penser des dispositifs qui favorisent les échanges entre individus de milieux différents (citoyens, experts, décideurs, etc.) pour lutter contre la fragmentation sociale.


Pour une réhumanisation de la société

Au fond, ce que défend Jérémie Peltier, c’est un projet de réhumanisation. Il observe, dans les études menées par sa fondation, une prise de conscience croissante : cette société hyperconnectée, violente, émotionnelle, fait souffrir.

Les Français ressentent un manque profond de reconnaissance, d’échanges sincères, de liens sociaux. Ils vivent, dit-il, dans une "société de l’absence" : absence de médecins, de services publics, d’interactions humaines.

Or l’otium, pour se déployer, nécessite du lien humain. Il ne peut exister dans une société désertée. Il faut donc remettre des humains là où il n’y en a plus, pour que le temps de la pensée libre retrouve son souffle.


L’otium, un projet de société

Penser librement. Se rendre disponible à l’imprévu. Débattre sans se replier. Sortir du bruit pour entrer en conversation. Voilà les vertus de l’otium, et voilà pourquoi il doit devenir un enjeu politique central.

Jérémie Peltier appelle à ne pas laisser ce concept dans la sphère de la philosophie abstraite. Il invite à le traduire en politiques publiques, en pratiques éducatives, en nouvelles normes culturelles.

Le loisir fécond n’est pas un luxe. C’est une condition de survie pour la démocratie.



 
 
 

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