L’art de la splendeur selon Laurence Devillairs
- Sandie Carissan
- 2 août
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 août

Et si nous avions désappris à voir ? Et si, dans un monde saturé d’images, de filtres et de parcours fléchés, le véritable regard était celui que nous n’avions jamais appris à poser ? Dans une interview postée sur YouTube, la philosophe Laurence Devillairs, invitée par Fabrice Midal, nous conduit vers une redécouverte essentielle : la splendeur du monde.
Voir, ce n’est pas regarder
" On regarde plutôt qu’on voit ". Ce constat est au cœur de la réflexion de Laurence Devillairs. Elle fait une distinction fondamentale : regarder, c’est souvent chercher à vérifier, à bien faire, à comprendre ce qu’il faudrait voir. Voir, au contraire, implique une présence réelle, une capacité à s’abandonner à ce qui est là, à ressentir sans chercher à posséder ni contrôler.
Regarder est une activité motivée par la peur : peur de ne pas comprendre, de ne pas ressentir, de passer à côté. Voir, en revanche, exige du courage, de l’ouverture et parfois de l’inconfort. Il s’agit d’entrer en relation, pas de collectionner des expériences ou des images.
La splendeur, pas la beauté
Pourquoi ne pas parler simplement de beauté ? Parce que pour Laurence Devillairs, la splendeur est plus vaste, plus discrète, moins étiquetée. Elle échappe aux codes esthétiques traditionnels. Elle peut surgir dans une lumière, une parole, un geste...
La splendeur, c’est ce qui nous transforme, ce qui nous appelle sans nous prévenir, ce qui nous fait exister un peu plus.
Une philosophie vécue, pas enseignée
Fabrice Midal et Laurence Devillairs partagent une même conviction : la philosophie est un art de vivre, une manière d’habiter le monde. Il ne s’agit pas d’un savoir abstrait ou réservé aux spécialistes, mais d’une expérience libératrice.
Laurence insiste : " Je ne cherche pas à me développer. Je cherche à me fuir ". Voir le monde, vraiment, c’est se laisser traverser par lui, pas s’en servir pour nourrir son ego. Et paradoxalement, c’est dans cette perte de soi que l’on se retrouve pleinement vivant.
Voir, c’est s’abandonner
Un exemple puissant revient tout au long de l’entretien : celui de la nage. Pour flotter, il faut s’abandonner à l’eau. Résister, c’est couler. C’est exactement ainsi que fonctionne l’expérience esthétique : elle ne se contrôle pas, elle se vit.
Laurence parle de "métamorphose". Une véritable expérience esthétique ne laisse pas indemne. Elle nous agrandit, nous transforme. Elle nous élargit au monde. Elle dit même : "Je suis ce que je vois ".
Exercices pour réapprendre à voir
La pensée de Laurence Devillairs est tout sauf théorique. Elle propose des exercices concrets pour cultiver cet art de voir :
Le décentrement visuel : se forcer à regarder ce qui nous déplaît, ce qui nous résiste, ce qu’on juge "moche".
Anthropomorphiser les lieux : donner un nom à un arbre, un rivage, un rocher. Cela crée du lien.
Parler aux choses : oui, parler aux tableaux, aux paysages...
Tenir un carnet de splendeur : noter les moments où l’on a été saisi par la vie, même dans les détails les plus humbles.
Rester trois minutes avec ce que l’on voit : ne rien faire d’autre, ne pas chercher à comprendre, juste être là.
Un rapport au monde fait de respect et de retenue
Pour Laurence Devillairs, notre manière d’être au monde devrait être guidée par le respect, la curiosité et une forme d’humilité profonde. Elle illustre cela par une image très simple mais forte : un panneau de son enfance, dans un parc, indiquait "Ne pas marcher sur la pelouse ". Petite, elle était tentée d’y désobéir… mais ne l’a jamais fait. Ce geste d’abstention est resté gravé en elle.
Ce souvenir devient une métaphore puissante :
Il y a des choses dans le monde qu’il ne faut pas saisir, dominer, posséder.
Il y a une manière juste d’être en présence des choses, sans vouloir les capter, les réduire ou les utiliser.
Il faut parfois simplement les laisser exister.
C’est aussi pour cela que Laurence se méfie de la photographie quand elle devient un réflexe pour capturer une image : on veut garder, posséder, montrer. Mais la beauté, la vraie, ne se capture pas. Elle se reçoit. Elle nous traverse. Et elle s’en va.
En d’autres termes, ne pas marcher sur la pelouse, c’est apprendre à regarder le monde avec délicatesse. C’est reconnaître que tout ne nous appartient pas, que certaines choses méritent d’être honorées à distance.
L’éthique de la beauté
La beauté n’est pas que dans les œuvres d’art ou les couchers de soleil. Elle est aussi dans les gestes éthiques, le courage discret, l’attention à l’autre. Laurence raconte l’histoire d’une collègue timide qui a osé dénoncer une injustice dans l’entreprise. Pour elle, c’est une forme ultime de splendeur !
Perceval et le Graal : l’éveil par la curiosité
Laurence Devillairs évoque la légende du chevalier Perceval pour illustrer un point fondamental : la vraie curiosité est une forme d’attention aimante au monde.
Dans le récit, Perceval assiste à une scène extraordinaire : il voit passer devant lui le Graal, cette coupe mystérieuse et sacrée, souvent interprétée comme un symbole du sens de la vie, de la vérité ou de la liberté. Et pourtant… il ne pose pas de question. Il se tait.
Pourquoi ? Parce qu’il a peur. Peur de déranger. Peur de se tromper. Peur de ne pas comprendre. Ce manque de curiosité n’est pas neutre, il révèle un manque d’amour, un manque d’engagement envers ce qu’il voit.
Plus tard, Perceval marche seul dans la neige. Il aperçoit alors trois gouttes de sang sur le blanc immaculé. Un détail. Un rien. Et c’est là qu’il est bouleversé. C’est là qu’il voit vraiment. Cette vision le ramène à l’amour, à sa quête, à lui-même. Ce moment de contemplation simple devient un tournant intérieur. Une métamorphose.
Ce que nous dit Laurence à travers cette histoire : Ce n’est pas parce qu’on voit quelque chose que l’on est présent à ce qu’on voit. La vraie vision naît de l’attention, de la question, de la curiosité. Voir, c’est s’impliquer. C’est accepter d’être touché. C’est reconnaître qu’il y a là quelque chose qui nous dépasse et nous appelle.
Voir, c’est vivre
Ce que nous propose Laurence Devillairs, ce n’est pas une méthode, encore moins une
injonction. C’est une invitation douce et radicale à vivre autrement. À ralentir. À désapprendre. À voir le monde dans ce qu’il a de plus vibrant, de plus fragile, de plus vivant !
" Il y a plus de richesse en vous et dans le monde que vous n’imaginez".
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