Écouter le hasard
- Sandie Carissan
- 22 juil.
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 août
Il y a quelques jours, j’étais à la Bourse de Commerce, à Paris, devant la Rotonde, face à l’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot : clinamen. Un grand bassin circulaire occupe tout l’espace central. Il est rempli d’eau, et des dizaines de bols en porcelaine y flottent doucement. Ils se déplacent au fil d’un courant léger, s’entrechoquent parfois, et produisent des sons clairs, cristallins. Rien n’est prévisible. Aucun rythme, aucune mélodie attendue.
C’est le hasard qui orchestre cette musique lente, fragile.

Le mot clinamen vient de la philosophie épicurienne. Chez Lucrèce, c’est ce minuscule écart imprévisible dans la chute des atomes, ce qui rend possible le libre arbitre, ce qui déjoue le déterminisme. L’œuvre nous invite à ressentir ce hasard qui produit une forme d’harmonie imprévue.
Mais voilà : je n’ai pas réussi à m’y abandonner pleinement. L’espace, si vaste soit-il, était saturé de brouhaha 🙃.
Je suis donc restée partagée : fascinée par l’idée, profondément touchée par cette proposition sensible, mais dans l'impossibilité de pouvoir en faire pleinement l’expérience. L’impression d’avoir entrevu un paysage sans pouvoir vraiment y entrer.
Cela dit, j'étais contente de voir autant de monde attiré par cette œuvre, cette beauté. Même si je n’ai pas pu en faire l’expérience idéale, je me réjouissais que d’autres aient, eux aussi, envie de s’y arrêter, de s’en approcher.
Clinamen reste pour moi une œuvre essentielle, parce qu’elle n’exige rien. Elle propose une alternative douce à notre agitation : une écoute lente, une musique du hasard. Et même si je n’ai pas pu en faire l’expérience rêvée, je suis restée fascinée par la beauté de ce que l’on peut créer avec presque rien : de l’eau, de la porcelaine, un peu de courant. C’est une ode au simple, au beau, à la matière, à la poésie discrète.
Et puis il y avait cela aussi : toutes ces personnes venues s’en émerveiller, dans cet endroit magnifique. Cette attention collective, même imparfaite, même dissipée parfois, me touche. Peut-être est-ce cela, au fond, la réussite de l’œuvre : avoir su rassembler autant de regards autour d’un geste aussi fragile.
Comments