Éloge de l’oisiveté par Russell
- Sandie Carissan
- il y a 1 jour
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Dans Éloge de l’oisiveté, Bertrand Russell s’attaque à une idée profondément ancrée dans nos sociétés : le travail serait intrinsèquement vertueux et l’oisiveté un défaut à combattre. Avec son ironie subtile et sa lucidité de philosophe, il démonte cette croyance pour défendre une vision où le temps libre n’est pas un luxe, mais une condition essentielle à l’épanouissement humain.
Dès les premières pages, Russell souligne le paradoxe de l’ère industrielle : alors que la mécanisation et les avancées technologiques permettent de produire plus avec moins d’efforts, nous continuons à nous imposer des journées et des semaines interminables. L’héritage culturel et moral du travail, nourri par la religion et l’éthique capitaliste, entretient l’idée que l’oisiveté est suspecte, voire immorale. Pourtant, affirme-t-il, si les bénéfices des gains de productivité étaient partagés équitablement, nous pourrions réduire drastiquement le temps de travail, sans perte de confort matériel, et offrir à chacun plus de temps pour vivre pleinement.
Pour Russell, l’oisiveté ne se résume pas à l’inaction. Elle englobe tout ce qui nourrit l’esprit et les relations humaines : apprendre, réfléchir, créer, se cultiver, discuter. C’est un espace où l’individu échappe à la logique utilitariste et peut s’engager dans des activités choisies pour elles-mêmes, non dictées par la nécessité économique. Cette forme d’oisiveté, loin de rendre paresseux, stimule la créativité, la pensée critique et la participation à la vie collective.
Il critique sévèrement la société moderne pour avoir fait de l’occupation permanente un signe de valeur personnelle. Dans ce monde, rester constamment occupé (même à des tâches inutiles) est mieux perçu que prendre le temps de réfléchir ou de se reposer. Cette glorification du “toujours faire” engendre stress, épuisement et appauvrissement intellectuel.
À l’inverse, un temps libre bien utilisé peut renforcer la santé mentale, encourager les échanges sociaux et enrichir la culture commune.
Russell s’intéresse aussi au rôle que la science et la technologie devraient jouer. Selon lui, le progrès n’a de sens que s’il libère du temps pour les activités créatives et culturelles. Mais dans la réalité, il a souvent été utilisé pour intensifier la production et accroître la rentabilité, sans bénéfice direct pour les travailleurs. Une redistribution plus juste du travail et de la richesse permettrait non seulement de réduire la durée des semaines de travail, mais aussi de rendre l’oisiveté accessible à tous, et non seulement aux privilégiés.
L’éducation, dans cette perspective, prend une place centrale. Russell plaide pour un enseignement qui développe la curiosité, l’autonomie intellectuelle et la capacité à profiter du temps libre de manière enrichissante. Dans une société qui valorise l’oisiveté ; la culture, les arts et les loisirs intelligents deviendraient des piliers de la vie collective, et non des activités secondaires.
En conclusion, Éloge de l’oisiveté est bien plus qu’une défense du repos : c’est une proposition de réforme sociale et culturelle. Russell y esquisse un monde où la productivité n’est plus la mesure ultime de la valeur humaine, et où chacun dispose de temps pour penser, créer et vivre. Loin d’être un plaidoyer pour la paresse, c’est un appel à libérer nos vies de l’obsession du rendement, pour replacer le bien-être, la sagesse et la liberté au centre.
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Russell, B. (2024, 10 octobre). Éloge de l’oisiveté : Plaidoyer pour une société du loisir. Books on Demand.
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